Pour bien comprendre les enjeux environnementaux, sociaux et démocratiques que soulève le projet minier Authier, il faut d’abord apprécier le caractère sacré qu’attribue la population de la Municipalité Régionale de Comté (MRC) d’Abitibi – ayant Amos pour ville centre – à l’esker Saint-Mathieu-Berry. Et pour cause, ce filtre naturel hérité du retrait des glaciers il y a plusieurs millénaires abrite une rivière souterraine à l’eau d’une pureté exceptionnelle ayant reçu en 2001 la prestigieuse distinction de meilleure eau au monde [1] [2]. C’est notamment à même cette source que s’approvisionne la réputée compagnie d’embouteillage d’eau Eska Le 1er février 2018, un jeune citoyen d’Amos lançait l’alerte dans les médias locaux après avoir découvert, selon ses estimations, qu’une compagnie minière australienne, Sayona Mining, désirait exploiter un gisement de lithium à moins de 500 mètres de l’esker [2]. La nouvelle a instantanément provoqué un vent d’indignation dans la population abitibienne. L’entreprise attendrait près de cinq mois pour préciser, sous l’insistance de l’assemblée lors d’une séance de consultation, qu’en réalité la distance entre la fosse et l’esker serait de 75 mètres. Pour contenir la critique, la minière prenait l’engagement écrit qu’elle « ne s’approchera pas à moins de 50 mètres de l’esker ». Or, une carte qu’elle allait diffuser le 2 octobre 2018 a démontré que les installations projetées les plus proches étaient à peine à 20,2 mètres de l’esker [16] . L’impression que Sayona Mining tente de dissimuler des informations sensibles perdure depuis que la population a appris que la minière a délibérément conçu son projet dans le but d’éviter d’être soumise à une enquête par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). En effet, en choisissant d’extraire 1900 tonnes métriques par jour, Sayona Mining parvenait légalement à passer sous le seuil des 2000 tonnes entraînant l’application automatique de la rigoureuse procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement. La compagnie a depuis reconnu qu’elle prévoyait initialement extraire un volume quotidien de 2100 tonnes, ce qu’entendait également faire la précédente minière de qui elle a acquis les droits en 2016 [3] [4] [5]. Mais depuis le 23 mars 2018, l’entrée en vigueur de la réforme de la Loi sur la qualité de l’environnement permet à la ministre de l’environnement d’assujettir au BAPE un projet destiné à l’éviter si « les enjeux environnementaux qu’il peut susciter sont majeurs et que les préoccupations du public le justifient » [6] [7]. Une vaste mobilisation citoyenne s’est donc constituée avec pour principal objectif de prouver à la ministre l’absence d’acceptabilité sociale du projet Authier et la nécessité de le soumettre au BAPE. Avant même que Sayona Mining n’ait déposée son évaluation environnementale, quatre organismes scientifiques, trois groupes de défense de l’environnement ainsi que le Comité citoyen de protection de l’esker, tout juste formé en réaction au projet Authier, déposaient à la ministre Isabelle Melançon autant de demandes l’enjoignant d’utiliser ses nouveaux pouvoirs. En janvier 2019, 32041 personnes ont signé une pétition en ce sens qui a été récemment renvoyée au nouveau ministre de l’environnement, M. Benoît Charette [8]. Les trois organismes scientifiques qui ont analysé l’étude environnementale du projet Authier produite par Sayona Mining concluent que celle-ci manque de rigueur, démontre une absence d’informations cruciales et a manifestement été rédigée dans un sentiment d’urgence injustifié. Ils ont unanimement réitéré la nécessité que le projet soit assujetti au BAPE [9]. Parallèlement, les ambitions de Sayona Mining sur le territoire de la municipalité de La Motte provoquaient une crise démocratique et politique dans le village. Le 9 juillet 2018, les conseillers municipaux adoptaient, à la demande expresse de la compagnie minière, mais en l’absence et à l’insu du maire, une résolution d’appui au projet Authier [10] [11]. En procédant sans consulter au préalable leur population, ceux-ci reniaient leur engagement de neutralité qui devait tenir jusqu’à une éventuelle assemblée citoyenne visant à aiguiller démocratiquement les élus dans leur prise de position. En quelques mois, le maire, qui prônait des valeurs de protection du territoire et valorisait l’importance de consulter son électorat, a rendu sa démission [12], puis un nouveau comité de citoyen-ne-s a vu le jour dans le village tout en parvenant à récolter à ce jour plus de 150 signatures de concitoyen-ne-s désirant que le projet Authier soit soumis au BAPE sur une population de 300 personnes pouvant voter. Après avoir répété jusqu’au 18 septembre 2018 qu’elle n’envisageait aucun scénario d’agrandissement, Sayona Mining révélait à peine 6 jours plus tard dans son étude définitive de faisabilité qu’une telle possibilité pourrait être envisagée [13] [14] . Déjà accotée sur l’esker, rien n’empêche juridiquement l’entreprise d’empiéter directement sur celui-ci puisqu’elle possède de nombreux claims qui le chevauchent [15] [16] Or, les organismes scientifiques qui ont étudié l’étude environnementale de Sayona Mining s’alarment des visées de la société multinationale puisque le gisement de lithium s’enfonce sous l’esker. Depuis sa révélation au grand public en février 2018, Sayona Mining ne fait pas qu’ignorer la volonté incontestable de la population que le projet Authier soit soumis au BAPE. Son porte-parole a réduit au niveau de nuisance les inquiétudes de la population en les comparant à du « bruit » et ce, à de nombreuses reprises [17]. L’entreprise a brisé plusieurs de ses engagements publics dont celui de tenir en septembre 2018 des rencontres publiques de rétroaction sur les commentaires et préoccupations qui lui ont été adressées. Au mois d’octobre 2018, la minière est allée jusqu’à tenir un discours trompeur dans une présentation publique en affirmant que son projet était le plus petit au Québec. Sayona Mining a déposé le 20 décembre 2018 sa demande officielle de certificat d’autorisation au ministère de l’environnement et de la lutte aux changements climatiques, entraînant ainsi le déclenchement du délai de trois mois accordé au ministre de l’environnement lui permettant d’assujettir le projet Authier au BAPE. Sans attendre, le Comité citoyen de protection de l’esker a fait parvenir une demande d’accès à l’information au Ministère de l’environnement pour obtenir tous les documents concernant le projet Authier. Ce n’est qu’en faisant l’analyse de documents techniques confidentiels que le Comité citoyen a fini par découvrir qu’en réalité, le projet devait déjà être considéré comme assujetti automatiquement au BAPE puisque la capacité d’extraction quotidienne de minerai dépassait le seuil des 2000 tonnes par jour. Fort de ce constat, le Comité citoyen a rapidement fait parvenir une mise en demeure au ministre de l’environnement pour l’intimer à soumettre le projet au BAPE [18]. Le projet Authier a finalement été assujetti au BAPE au début du mois de mars 2019, grâce à la mobilisation citoyenne et la menace d’une poursuite en justice contre le ministre de l’environnement. Plus de deux ans plus tard, l’étude d’impact du projet n’est toujours pas complétée, mais le public s’attend à ce que le projet soit bientôt soumis au BAPE. L’entreprise cherche maintenant à présenter son projet comme étant vert puisque que le spodumène produit permettra la fabrication de batteries pour des véhicules électriques et que la mine prétend fonctionner avec un approvisionnement en énergie hydroélectrique: "Le lithium fait partie de la solution au réchauffement climatique. Comme vous le savez, la croissance de la demande de lithium, c'est de l'ordre de 35 % par année et on a l'occasion actuellement de rentrer dans ce marché-là avec une production de minerai de lithium qui est plus verte qu'ailleurs dans le monde, parce qu'elle va être faite à partir de l'énergie hydroélectrique” Alexis Segal, vice-président aux affaires corporatives de Sayona Québec [19]. Elle s’est associée avec la compagnie d’origine australienne et maintenant battant pavillon américain, Piedmont Lithium [20], afin de lui fournir le spodumène qu’elle transformera aux USA en hydroxyde de lithium afin d’alimenter la production de batterie pour la compagnie Tesla. Sayona cherche maintenant à s’implanter plus largement en région en poursuivant deux autres projets controversés de mines de lithium dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue : (1) la relance de la mine North American Lithium et (2) Tansim Lithium. Cette nouvelle ambition risque de changer la configuration du projet Authier Lithium. (See less) |